Qui dit navigation fluviale, dit batellerie !
La batellerie désigne par définition "l'industrie du transport de marchandises par bateaux sur les fleuves, rivières, canaux" (source Wikipédia). Mais aussi fait-elle référence à l'ensemble de bateaux qui servent à cette industrie.
En plus du transport de marchandises, le transport fluvial inclut les quelques services de transports de personnes, ainsi que la navigation de plaisance ou tourisme.
C'était le bon vieux temps
Maurice Bétrancourt fils, nous décrit "la battelerie artisanale des péniches en bois" dans notre région et plus particulièrement au Bassin-Rond, dans un article de 1976.
"Lorsque l’on voit évoluer sur le Grand-Large du Bassin-Rond les gracieuses embarcations toutes voiles dehors, telles des mouettes, ce n’est pas sans mélancolie que les anciens revoient par la pensée ce même endroit où stationnaient des centaines de péniches de tout modèle : péniches du nord, bateaux de canal, ardennais ou berrichons. Ils attendaient leur tour pour franchir le Bassin-Rond, leurs flancs bourrés de marchandises diverses mais principalement du charbon venant du bassin minier du Pas-de-Calais à destination de la région parisienne.
Côté Estrun, elles étaient bout à quai, côté à côte, leurs mats dressés vers le ciel telle une forêt ; côté Bouchain, elles étaient parallèles à la rive, la plupart ayant à leur bord leurs attelages pour les tractionner – chevaux, mulets, et même des ânes.
C’était la belle époque, et tout ce peuple de bateliers amenait la vitalité de ce hameau et un commerce exceptionnel.
On y trouvait :
- 3 chantiers navals : Vandeville successeurs de Léon Leroy, Dru père et
Dru fils.
- 2 corderies : Monget et Gosselin, cette dernière étant toujours en
activité en 1976).
- 2 fabricants de cuisinières : Ledieu et De Meyer.
- 2 boucheries : Paul et Ducornet.
- 2 charcuteries : Parent et Chevalier.
- 2 bureaux de tabac.
- 2 bals ou cinémas.
- de nombreuses épiceries dont quatre grands magasins : Comptoir
Français, Nouvelles épiceries du Nord, Familistère, Ets Wuilbault.
- 23 estaminets ou cafés.
Avant la câblerie, il y avait un bistrot, un commerce d'une écurie, le centre d'administration... A la câblerie, l'unité de mesure était "la brasse".
LES CHANTIERS NAVALS
Ils étaient bien entendu très importants au bassin-rond, pour la construction des péniches, les réparations diverses.
Les principaux furent les chantiers Dru père et fis (2 chantiers situés l'un en face de l'autre, l'un pour les péniches en bois, l'autre celles en fer , fermé vers les années 60 ) et Vandeville (1 seul chantier pour les père et fils).
On peut toujours voir de nos jours le portique du chantier Dru, servant à transporter les bateaux vers les ateliers de réparation.
Le chantier Vandeville est devenu l'entreprise Euroboat. C'est un port de plaisance. Les dernières péniches y furent construites vers 1963.
Le chantier Busigny, qui se trouvait côté Estrun , fermé vers 1980.
La construction d'une péniche en bois, par Maurice Bétrancourt.
"AU début du XXe siècle, il y avait 6 chantiers de construction de péniches sur le territoire de Bouchain, dont les 3 du bassin-rond (Dru et Vandeville), et 3 à l'est de la ville de part et d'autre du pont du chemin de fer (Lequien, Fals et Duvinage).
Un "chantier" c'est d'abord un immense bassin , profond de 1m environ. Il peut accueillir parfois une dizaine de péniches.
Le bois, principalement du chêne, orme ou sapin, est stocké sur une aire bien adaptée et surtout bien ventilée, destinée au séchage des grumes débitées en plots (fig 5) ; elle jouxte le bassin.
L'atelier des charpentiers est suffisamment spacieux pour que la manoeuvre des pièces encombrantes que l'on façonne à la scie à ruban, à la dégauchisseuse, à la raboteuse ou à la toupie, soit facilitée.
L'accès au fond du bassin est assuré par une rampe douce.
Le magasin se trouve à proximité de l'atelier. On y trouve tous les produits et matériels entrant dans la construction et la protextion de la péniches. On y trouvera , en particulier les Gones (ou tonnes) : des tonnelets de 15 à 20kg de goudron de Norvège.
Sur l'aire de stockage du bois, on a réservé un endroit bien dégagé et très accessible pour l'installation du chauffour (fig4) : il servira au cintrage des pièces de "nord d'épaulure".
Enfin l'accès au canal se fait par un étroit chenal un peu plus large que la péniche et obturé par un ponton .
Le bassin étant perpendiculaire au canal, le ponton, recouvert d'un tablier de bois supporté par l'ossature du ponton, assure la continuité du chemin....
L'une des opérations les plus spectaculaires est bien celle que l'on appelle "faire navigation" : elle consiste à faire entrer la péniche à réparer en marche arrière, dans le bassin. Sa sortie (en parche avant) pose en général moins de problème.
Cette opération particulièrement délicate est mises sous l'autorité du patron, le "grand chef" du chantier seul responsable de la manoeuvre."
...
Jusqu’en 1912 lorsque furent installés les machines électriques, la traction des bateaux était faite avec des attelages de chevaux. Plusieurs écuries de relais existaient au Bassin-Rond. Certains de ces attelages appelés « Longs Jours » prenaient leur bateau à la pointe du jour jusqu’à la tombée de la nuit, pour revenir le lendemain dans l’autre sens avec une nouvelle péniche.
Il n’était pas rare aussi de voir les bateaux à vide, tirés à la bricole par le marinier et sa famille ; car la femme travaillait dehors avec son mari par n’importe quel temps, les enfants liés dans la « gravelaine ».
Au début du siècle, lorsque l’on creusa le Grand Large, on supprima le pont d’Estrun qui se trouvait près du Port Arthur, et l’on construisit le pont tournant dont le dernier pontier fut Joseph Havy ; il manoeuvrait ce pont avec une perche, le pont se mettant alors au travers au milieu du canal, donnant ainsi le passage de chaque côté.
Le pontier devait vérifier les « laisser-passer » en raison de l‘écluse d’Iwuy où il n’y avait qu’un seul passage, deux bateaux venant de la Sensée pour un venant de l’Escaut : c’était le règlement.
La guerre de 1914-1918 devait marquer profondément la navigation au Bassin-Rond. Le 26 août 1914, les territoriaux de la Sarthe essayèrent d’empêcher les Allemands de franchir l’Escaut et pendant 48h la bataille fit rage.
Mais en novembre 1918, lors de la débâcle des Allemands, le Bassin-Rond fut témoin de l’hécatombe d’une partie de la batellerie : 180 bateaux furent coulés dans le Grand Large, et il fallut plus de deux ans pour remettre les berges en état.
Lors de la mise en circulation du Canal du Nord, la navigation du Bassin-Rond se trouva réduite et se trouve actuellement presque nulle par le canal à grand gabarit de Dunkerque-Valenciennes, et aussi par la mise en circulation des bateaux en fer à moteurs supprimant la traction électrique.
C’est ainsi qu’avec l’évolution et le progrès finit la vie d’un centre des plus prospères.
On peut voir différents outillages employés par la batellerie artisanale au Musée de la Tour d’Ostrevant à Bouchain, ainsi que des photos du Bassin-Rond de la belle époque si regrettée par les habitants de ce hameau.»